Etat d’exception, état d’urgence, état de siège: quelles implications pour les droits fondamentaux?

La pandémie du Covid 19 a contribué à généraliser l’état d’urgence qui, de situation plutôt rare et exceptionnelle, est devenue mondialement partagée.

Cette généralisation incite à revisiter la production sur ce concept, ainsi que sur les concepts avoisinants d’état d’exception et d’état de siège.

Les trois ont en commun d’aboutir à une remise en cause de l’ordre juridique «normal», à une extension des pouvoirs de police et de réglementation générale au profit des autorités, de l’administration, ainsi que, parallèlement, et comme conséquence inévitable, à une réduction de l’espace des droits et libertés.

Nous avons tous, ainsi que les générations précédentes, été plutôt habitués à entendre parler, ou à vivre, d’état d’exception, d’état de siège, surtout après des coups d’Etats militaires, plutôt que d’état d’urgence, encore moins d’état d’urgence sanitaire puisque le XX siècle n’a connu comme pandémie que celle de la grippe espagnole et que celle du Covid 19 est la première du XXIème.

Si sans les trois cas, les pouvoirs publics, et plus exactement l’administration, se voient doter de pouvoirs exorbitants par rapport à la situation normale, le contenu et les implications de ces formes diffèrent sur un certain nombre de points. Ils diffèrent également quant aux causes qui ont amené à leur adoption, quant à leurs fondements juridiques, ainsi que sur l’étendue des pouvoirs octroyés aux autorités publiques, police et administration. C’est ainsi qu’un état de siège constitue une situation où l’on fait intervenir les militaires, en plus des forces de police, mais où les pouvoirs sont transférés aux militaires.

Concernant leurs fondements juridiques, l’état d’exception, ainsi que l’état de siège, ils sont toujours expressément prévus par la constitution alors que l’état d’urgence peut n’être prévu que par une loi. Ainsi, la constitution française prévoit l’état d’exception dans son article 16, et l’état de siège dans son article 36, et la constitution marocaine les prévoit respectivement dans ses articles 59 et 74 alors que l’état d’urgence, lui, ne se fonde, dans les deux cas, que sur une loi : la loi n°55-385 du 3 avril 1955, pour la France, et celle le Décret-loi n° 2-20-292 du 23 mars 2020 et les décrets lois n° 2-20-292 du 28 rejeb 1441 (23 mars 2020) édictant des dispositions particulières à l’état d’urgence sanitaire et les mesures de sa déclaration, et n° f2-20-293 du 29 rejeb 1441 (24 mars 2020) portant déclaration de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour faire face à la propagation du corona virus – covid 19[1], pour le Maroc.

Notre ambition est d’apporter quelques éléments qui puissent aider à clarifier ces concepts et, par là, d’apporter une pierre à l’édifice théorique qui reste à construire, si l’on se réfère à Giorgio Agamben qui a consacré un ouvrage à l’état d’exception, ouvrage très largement commenté et traduit dans plusieurs langues, y compris en langue arabe[2].

La difficulté de définition précise des chacun des types, et la difficulté de distinction entre eux est manifeste chez un grand nombre d’auteurs ; nous ne voulons en donner comme exemple que celle donnée par M.L. Basilien-Gainche: «Les états d’exception évoquent en revanche les anomalies et les crises, le dérèglement et l’extraordinaire. Ils peuvent être regardés comme des techniques juridiques à la disposition de l’État, qui répondent à des impératifs d’efficacité dans un contexte de guerre ou de crise et qui usent de méthodes de contrainte pour le maintien de l’ordre public. Il reste que ces techniques juridiques prévues par l’État doivent lui permettre d’atteindre la fin qu’il se propose de réaliser – à savoir l’État de droit –, en particulier en autorisant la concentration des pouvoirs et la restriction des droits.

Le parallèle entre État de droit et états d’exception met à jour de multiples oppositions : droit-­exception, libertés-­pouvoirs, ambitions-­contraintes, aspirations-­dispositifs, fins-­moyens, autorité-­domination, ordre-­désordre…»[3].


[1] Bulletin Officiel, Nº 6870 – 8 chaabane 1441 2 avril 2020, p 506.

[2]État d’exception, Homo sacer de Giorgio Agamben, Paris, Éditions du Seuil, 2003, p 153.

[3] Etat de droit et états d’exception ; une conception de l’Etat, Paris, PUF, 2013, p 9.