LES APPLICATIONS DE LA THEORIE DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES DANS LA JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE

 Introduction

Entrée, comme d’ailleurs la majorité des notions fondamentales du droit administratif, dans le terrain du droit par voie jurisprudentielle, la théorie des circonstances exceptionnelles constitue l’une des plus saillantes illustrations du système de l’exorbitance qui marque les règles du droit public et plus particulièrement le droit administratif.

La théorie des circonstances exceptionnelles fut son apparition dans un contexte mondial conflictuel, la première guerre mondiale en l’occurrence. Deux arrêts successifs du conseil d’Etat français déclaraient en effet la naissance de cette exception à la légalité. Il s’agit en fait des deux fameux arrêts Heyriès[1] et dames Dol et Laurent[2]. Dans ces deux espèces, le juge administratif autorisait les autorités administratives, dans cette période de guerre, à outrepasser le respect de certaines formalités en matière disciplinaire à savoir la communication préalable du dossier dans la première espèce et à prendre des mesures qui restreignent aussi bien les libertés individuelles, notamment sexuelles, des deux dames qui se voulaient filles galantes que la liberté de commerce et d’industrie des débiteurs de boissons dans la seconde espèce.

Entrant dans le cadre du système dérogatoire aux situations normales de l’action publique, la théorie des circonstances exceptionnelles est conçue comme la batterie des pouvoirs qui  permettent, sous le contrôle du juge, lorsque les événements l’exigent et pour assurer la continuité des services publics, à l’administration de ne pas respecter la légalité ordinaire[3]. D’un point de vue doctrinal, la théorie des circonstances exceptionnelles considère «certaines décisions administratives qui en temps normal seraient illégales, peuvent devenir légales en de telles circonstances parce qu’elles apparaissent alors nécessaires pour assurer l’ordre public et la marche des services publics»[4]. Il s’agit à vrai dire d’un état juridique d’exception dans lequel les pouvoirs publics peuvent –voire doivent en raison de l’urgence – prendre des mesures particulières et plus strictes notamment envers les libertés publiques[5].

Permettant ainsi l’extension des pouvoirs des exécutifs[6], la théorie des circonstances exceptionnelles est à distinguer d’autres situations juridiques voisines dérogatoires à la légalité des circonstances ordinaires notamment l’état de siège, en ce que cette dernière exige des formalités rigoureuses pour sa déclaration et implique, à l’encontre de l’état d’exception et de la théorie des circonstances exceptionnelles, une substitution de l’action administrative civile par l’intervention de la force militaire.

Cette clarification faite, la présente contribution ne prétend pas à l’exhaustivité vu la richesse et la diversité des angles de traitement de son objet d’étude, mais elle s’intéresse à mettre en exergue selon une approche descriptive et chronologique la portée et l’étendue des pouvoirs découlant de l’application de la théorie des circonstances exceptionnelles en premier temps (I) et de mettre en avant, en deuxième lieu, le rôle accordé au juge administratif dans le contrôle de cette légalité d’exception[7] pour reprendre le professeur Chahdi (II).


[1] CE 28 juin. 1918, Heyriès, req. n° 63412, GAJA, 20e éd., Dalloz, 2015, n° 31.

[2] CE 28 févr. 1919, Dames Dol et Laurent, req. n° 61593, GAJA, 20e éd., Dalloz, 2015, n° 32.

[3]Théorie des circonstances exceptionnelles, fiches d’orientation, septembre 2019,

consulté le 20/06/2020 à 11h47.

[4] De Laubadère .A et autres, Droit administratif, Tome 1, 12ème éd, LGDJ, Paris, 1992, p.p. 580 et s. Rapportée par Chahdi Hassan Ouazzani, « Une première jurisprudence sur l’état d’urgence sanitaire», dans L’Economiste, éd n° 5741 du 15/04/2020.

 https://www.leconomiste.com/article/1060519-une-premiere-jurisprudence-sur-l-etat-d-urgence-sanitaire, consulté le 21 juin 2020 à 16h 05.

[5] Meerpoel Matthieu, « Conflictualité interne et action publique de crise », Les Champs de Mars, n° 20, 2009/1, p. 79.

[6] Johannes Frank, «Coronavirus : la théorie des circonstances exceptionnelles permet une extension des pouvoirs de l’exécutif», dans Le Monde du 15 mars 2020,

consulté le 21 juin 2020 à 16h14

[7] Chahdi Hassan Ouazzani, « Une première jurisprudence sur l’état d’urgence sanitaire », op-cit, consulté le 21 juin 2020 à 16h30.